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L'art de la parole écrite

Articles, interviews, portraits

Lilian Thuram : De défenseur de l’Equipe de France à défenseur des Droits de l’Homme !

Publié le 29 Mars 2016 par Maya Meddeb

Champion du monde en 1998, champion d’Europe en 2000, recordman du nombre de sélection en équipe de France (142), Lilian Thuram a marqué de son empreinte l’histoire du football. On se souvient de ce match contre la Croatie en demi-finale de la Coupe du monde où il marque un doublé magistral (les seuls de sa carrière en équipe nationale) propulsant la France en finale. Depuis la fin de sa carrière footballistique en 2008, Lilian Thuram n’a jamais plus quitté le costume de « Héros ». Devenu une personnalité engagée, il utilise sa notoriété à bon escient dénonçant dès qu’il le peut toutes les formes d’injustices. À travers sa fondation « Education contre le Racisme », il parcourt la France et le monde entier pour sensibiliser les jeunes et les moins jeunes à la lutte contre le racisme et à l’égalité pour tous. Son message ? Aimez-vous, soyez fière de qui vous êtes, apprenez à comprendre le monde qui vous entoure et entreprenez ! Tour à tour ambassadeur de l’organisation internationale de lutte contre la drépanocytose en Afrique et à l’UNICEF pour un programme de reconstruction des écoles ravagées par les séismes en Haïti, Lilian Thuram a reçu des mains de François Hollande le grade d'Officier de la Légion d’Honneur, en septembre 2013.

Entretien avec Lilian Thuram, qui derrière le champion du monde se cache un Grand homme.

« On ne nait pas raciste, on le devient. Cette vérité est la pierre angulaire de votre fondation Education contre le racisme » créée en 2008. Est-ce votre parcours en tant que joueur professionnel qui vous a sensibilisé à cette cause ?

Non. Je suis arrivé à l’âge de neuf ans en France. Je dis souvent que je suis devenu noir à neuf ans, parce qu’on devient noir dans le regard de l’autre : en Guadeloupe, tout le monde avait la même couleur de peau que moi. Quand je suis arrivé en France, il y avait un dessin animé avec une vache noire très stupide qui s’appelait la Noireaude et une vache blanche qui était très intelligente…. Certains de mes camarades me surnommaient la Noireaude. Cela m’attristait, j’ai demandé à ma mère pourquoi ils avaient cette image là et elle a eu une très mauvaise réponse : « c’est la vie, les gens sont racistes ! ». Pour moi, le racisme ne doit pas être une fatalité. J’ai voulu comprendre, J’ai compris que c’était lié à l’histoire, que l’esclavagisme avait conditionné l’inconscient collectif. J’ai aussi compris que le racisme n’est pas la confrontation de personnes de couleur différente mais que c’est lié à un système économique. Pendant des siècles, on a construit un discours infériorisant les personnes noires pour mieux les exploiter. Et c’est pareil pour les femmes. C’est important de faire attention aux discours, et ça commence dans sa propre famille. L’estime de soi est la base de la construction de tout enfant : s’il subit des propos racistes, il est important de lui dire que c’est la personne qui les prononce qui a tort et qui a un problème.

Beaucoup de vos actions sont adressées aux enfants : que ça soit au travers d’Interventions dans des écoles, la mise en place d’ateliers éducatifs, ludiques et interactifs, la parution de la BD « Tous Super Héros » en janvier dernier. La meilleure arme pour lutter contre le racisme c’est l’éducation ?

L’éducation c’est comprendre dans quel monde vous vivez. Si vous ne le comprenez pas, vous allez subir ce monde-là. L’éducation c’est ce qui vous met en mouvement, qui vous déplace. Et si nous sommes dans cette société, c’est qu’il y a eu auparavant des hommes et des femmes qui ont compris qu’il y avait des injustices et qui ont décidé de changer les choses. Ils étaient avant tout éduqués à comprendre ce qui se passait autour d’eux. Et puis c’est important de rappeler qu’il y a moins d’injustices aujourd’hui que hier. Mon grand-père est né en 1908, soixante ans après l’abolition de l’esclavage, ma mère est née en 1947 pendant la ségrégation aux Etats-Unis. Et moi je suis né en 1972, il y avait l’apartheid en Afrique du Sud. Il faut être conscient qu’il y a moins de racisme aujourd’hui. J’ai fait une intervention dans l’Université de Descartes et il y avait un groupe d’élèves qui ont fait un micro trottoir et la conclusion du sondage était que « 67% des enfants ne se considèrent pas comme français ». Il ne faut surtout pas faire le jeu de ceux qui ne vous acceptent pas. C’est important de se considérer comme français. Il faut avoir un discours pour avoir une stratégie de réussite pour ses enfants et cela passe par la revendication d’être français et l’hymne national qui nous appartient à tous, quel que soit nos origines. Pour vivre en société, il faut avant tout se considérer comme français. J’invite les enfants à réfléchir sur le conditionnement qu’ils vont recevoir. Un jour, j’étais à Stains et je jouais avec des enfants : une petite fille de douze ans n’a pas voulu me taper dans la main, parce que j’étais un homme. Je lui ai dit : « pendant longtemps, on n’a pas voulu jouer avec des enfants parce qu’ils étaient noirs ». Je lui ai demandé si elle trouvait ça juste, elle m’a répondu non. Je lui ai dit : « fais attention car si tu n’acceptes pas certaines personnes, on peut, ne pas t’accepter ». Pour avancer dans la vie, il faut être conscient de sa propre identité et être ce que l’on est, parce que si vous êtes dans un déni ou une non acceptation de vous-même, vous ne pouvez pas donner le meilleur de vous-même.

On dit souvent que le monde du football est le reflet de la société. Etes-vous d’accord avec cela ?

Bien évidemment. Le racisme existe dans le football parce qu’il y a du racisme dans la société. Le racisme dans le football est plus visible parce que c’est dans un stade. Après c’est une minorité de personnes. En Italie, quand j’étais joueur j’ai connu le racisme : j’entendais le bruit du singe quand je touchais la balle. Encore une fois la question n’est pas de savoir si le racisme existe mais comment les personnes le vivent : est-ce qu’elles vont se mettre dans une situation de victimisation ou dénoncer le racisme ? Le message des supporters qui me faisaient des bruits de singe c’était : tu gagnes de l’argent car tu joues au foot mais tu restes inférieur à moi car tu es noir. Mais ça ne pouvait marcher que si je croyais à cela. Et pourquoi le bruit du singe ? car pendant longtemps on a fait croire que le chaînon manquant entre le singe et l’homme c’était le noir. C’est important de comprendre cela. Je vous invite à regarder l’étude qui a été faite aux USA « Black Doll ». Les sondés étaient des enfants noirs et ils devaient choisir entre une poupée blanche et une poupée noire aux différentes questions : qui est la plus belle ? La poupée blanche… Tout ce qui était négatif, ils choisissaient la poupée noire….Ils avaient une mauvaise appréciation d’eux-mêmes. Les parents doivent être attentifs à cela et sensibiliser les enfants à ne jamais croire ce qu’ils peuvent entendre de négatif sur leur couleur, origine ou religion.

Avec les évènements récents, la société connait des crispations sociales et des replis identitaires. On est bien loin de la génération black blanc beur, scandée après la victoire de l’équipe de France en 1998. Comprenez-vous cette schizophrénie française qui consiste à parler positivement de la diversité quand il s’agit de célébrer des évènements glorieux et en même temps de la condamner quand il s’agit d’expliquer la crise économique, sociale et/ou des attentats ?

Quand il y a des évènements positifs, tout le monde se retrouve, se glorifie d’être français. Quand un français fait quelque chose de mal, vous le rejetez et cela quel que soit l’origine, la couleur, car cela ne correspond pas au groupe auquel vous appartenez. Après effectivement, je pense qu’il y a dans l’inconscient collectif des préjugés sur certaines personnes. Et quand on analyse la société, il est difficile de ne pas le faire à travers nos préjugés. Il y a plein de gens qui véhiculent leurs préjugés, dans leurs écrits, leurs discours et analyses…. C’est pourquoi, la discussion et le débat sont très importants. Il faut questionner les médias et les politiques car ce sont eux qui construisent le discours. Il y a des marques qui sont spécialisées dans la décoloration de la peau et en ayant de la publicité dans des magazines, ils construisent un discours : ressembler aux blancs. Je pense que les personnes qui utilisent ces produits ont une mauvaise estime d’eux-mêmes. J’avais pris les mains d’une petite fille après avoir vu qu’elle se les blanchissait et je lui ai dit : tu dois t’aimer !

Votre fondation vient d’attribuer une bourse de recherche sur la radicalisation, d’un montant de 10 000 euros, à une étudiante chercheuse. Comprendre et déconstruire le phénomène de radicalisation chez les jeunes est devenu votre combat ?

La fondation réfléchit à tous les problèmes de société : le racisme, le sexisme, l’homophobie et les problèmes de religion. Le comité scientifique a décidé de donner cette année la bourse à cette étudiante pour mettre en lumière ce phénomène et aider la société. L’année dernière, la bourse a été attribuée à une étudiante qui faisait un doctorat sur la République raciale.

Les deux seuls buts en bleus que vous avez marqués ont permis à l’équipe de France de se qualifier en finale de la Coupe du Monde 98. C’est l’enjeu qui vous a permis de vous dépasser ?

Dans l’équipe de Croatie Il y avait un joueur qui s’appelait Mario Stanic ; j’ai joué avec lui à Parme. A la mi-temps, il me dit : « ce match-là, il est pour nous ! » Quand ils ont marqué le premier but, il y a eu cette phrase qui m’est revenu et je me suis dit : « non, non, ce match il n’est pas pour eux, il est pour nous ! » C’est pourquoi je dis aux gens, face à l’adversité, il ne faut pas baisser les bras. Il faut simplement comprendre et savoir comment réagir pour aller plus loin.

D’où vous vient cet esprit de la gagne et de l’engagement ?

Je pense que cela vient du respect que j’ai pour ma mère. Elle a élevé seule ses cinq enfants, de cinq pères différents : elle travaillait dans les champs de canne le matin et faisait le ménage l’après-midi. Elle décide de partir pour vivre à Paris et trouver du travail. Elle nous laisse les cinq seuls en Guadeloupe et vient ensuite nous chercher pour nous emmener ici, en nous disant qu’il y aura plus de possibilités de réussir nos vies. Etre respectueux de ses parents c’est être conscient de ce qu’ils ont fait pour nous.

Quel regard portez-vous sur l’équipe de France actuelle, dirigée par votre ex-capitaine, D.Deschamps ?

Je ne m’intéresse pas trop à l’Equipe de France. Depuis que je suis enfant, je ne regarde pas les matchs à la tv, même quand j’étais joueur. Par contre, je suis passionné par le football. C’est un lieu éducatif super important pour les enfants : le respect des règles, l’appartenance à un collectif qui peut être bonifié par rapport à sa propre contribution et celle de son coéquipier. Dans le football ou dans la société, on ne parle pas des solidarités. On ne parle que des choses négatives.

Quelles sont les actions à venir de votre fondation ?

Nous avons monté avec l’association « Les petits débrouillards » une Exposition itinérante qui s’appelle « Etre humain » : l’idée est de comprendre comment on fonctionne en tant qu’individu, le rôle de l’environnement dans notre construction. Ce sont des modules pédagogiques à bord de mini bus qui se déploieront sur tout le territoire. On prépare également une exposition « Préjugés et Racisme » qui aura lieu au Musée de l’Homme. Nous préparons le volume 2 de la BD « Notre histoire ». Le volume 1 racontait l’histoire de l’immigration de ma famille.

Il y a aussi le documentaire « Photo de classe », réalisé par Estelle Fenech et Catherine Portaluppi, où des élèves de CE2 enquêtent sur leurs origines. Pour beaucoup, ils ont découvert l’histoire de leurs parents. C’est un documentaire très intéressant.

Quel regard portez-vous sur votre parcours ?

J’ai toujours été heureux dans la vie. J’ai eu beaucoup de chance d’avoir une mère qui m’a donné beaucoup d’amour. C’est ce qui explique ce que je suis et la confiance que j’ai dans l’être humain. Gagner la Coupe du Monde a été un rêve d’enfant qui s’est réalisé.

Lilian Thuram : De défenseur de l’Equipe de France à défenseur des Droits de l’Homme !
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