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L'art de la parole écrite

Articles, interviews, portraits

Angélique Kidjo, « La femme africaine est la colonne vertébrale de l’Afrique. »

Publié le 25 Novembre 2016 par Maya Meddeb

 

Angélique Kidjo, une femme inspirante qui partout où elle passe, chaque frontière qu’elle traverse, chaque musique qu’elle compose, chaque combat qu’elle mène, trouve un écho en chacun d’entre nous. Ambassadrice de bonne volonté à l’UNICEF, celle qu’on surnommait dans son village natal « Qui ? quoi ? Comment ? » tant elle était curieuse de tout, œuvre depuis plusieurs années à l’émancipation des jeunes filles.  Elue parmi les cent femmes les plus influentes du monde selon The Guardian, Angélique Kidjo, fière de son africanité, brandit ses racines en étendard sur les plus grandes scènes et institutions du monde, véhiculant à chaque fois une image positive de l’Afrique.  Récompensée d’un troisième Grammy Award, l’équivalent des oscars pour la Musique, en février dernier, Angélique Kdjo a rappelé au Staple Center à Los Angeles « L’Afrique est en marche, elle est positive. Regroupons-nous et refusons la haine et la violence grâce à la musique. Pour moi, la musique est avant tout la seule forme d’art qui lie tout le monde. » Pour preuve, aux JO de Rio, l’équipe américaine de gymnastique rythmique a pris sa chanson « Tumba » pour leur performance. Un beau symbole d’universalité qui lie le métissage culturel à la diversité artistique !

Rencontre avec Angélique Kidjo.

En février dernier, vous avez remporté le prix Ambassadeur de la conscience par Amnesty International et un nouveau Grammy Award pour votre album « Sings ».

 

Que représentent pour vous ces deux prix ?  

Je ne m’attendais pas du tout à recevoir un Grammy Award. J’avais gagné ce prix l’année dernière. J’y suis allée dans l’optique de soutenir les autres artistes africains. J’ai profité de mon discours pour projeter la lumière sur la nouvelle génération d’artistes africains et les nouveaux talents qui émergent sur les plateformes digitales, des supports qui sont moins visibles que la télévision ou la radio.

Pour le prix ambassadeur de la conscience par Amnesty International, j’ai appris par les artistes africains traditionnels, qu’il faut raconter son histoire dès qu’on en a l’occasion, pas simplement les belles histoires mais aussi les histoires qui font mal mais qui font évoluer. Le titre « We we », présent dans mon premier album, parlait déjà des prisonniers de conscience, ceux qui sont en prison parce qu’ils ont des opinions différentes du pouvoir en place, sans procès et sans que personne n’en parle. J’ai écrit cette chanson en 1990 et, malheureusement, elle est toujours d’actualité. Personne ne peut interférer dans la liberté d’expression, la liberté de chaque individu car c’est un droit naturel. Je travaille avec Amnesty international, ils connaissent mon engagement en Afrique et dans le monde.

 

Vous avez toujours mis votre notoriété au service de la défense des droits de l’homme et surtout auprès des jeunes filles, notamment à travers votre rôle d’ambassadrice à l’UNICEF et votre association Batonga qui œuvre pour l’éducation.  Qu’est ce qui a suscité chez vous cette volonté de vous engager ?  

Mes parents mais surtout mon père. Il a toujours dit que la tradition ne doit pas passer avant la vie de ses enfants. Pour les cérémonies traditionnelles de scarifications, mon père a refusé que ses enfants y participent. J’ai donc grandi dans une maison où mon père ne faisait pas de différence entre les hommes et les femmes, Il nous a toujours encouragés à dire ce que l’on pensait et à faire nos propres choix.  Personne ne peut me dire aujourd’hui que les femmes doivent être victimes de ces traditions. Les droits de l’homme n’ont pas de sexe. En tant qu’être humain, nous avons tous les mêmes droits, de choisir avec qui on a envie de vivre, de ce que l’on a envie de faire et d’être responsable de ses choix. Nous venons d’une tradition orale, et à travers ma musique, je raconte mon histoire et celle des autres. 

 

Vous considérez-vous comme une humaniste ou une féministe ?

Je me considère comme une artiste qui parle au nom de tout le monde. J’ai connu le féminisme à l’âge de huit ans : ma mère chantait avec un groupe de femmes qui revendiquaient le droit de choisir leur partenaire, le droit de voter. Pour moi c’était l’excuse parfaite pour ne pas faire mes devoirs. J’ai appris à travers ces femmes que la douceur de la femme est très importante, qu’il ne faut jamais être dans la haine de l’autre. Mon féminisme n’est pas contre l’homme mais dans la recherche d’un juste équilibre avec lui. Mon père disait toujours « si votre mère est heureuse dans son travail c’est bien, ça me fait un maux de tête en moins ». La femme forte c’est un atout pour l’homme. Il y a beaucoup d’hommes qui aiment les femmes indépendantes car ils savent que ça sert aussi leurs intérêts.

 

Votre association « Batonga » combat la précarité des études secondaires chez les filles en finançant la scolarité de 400 jeunes filles au Bénin, au Mali, au Cameroun, en Sierra Leone et en Ethiopie. Quels sont les projets à venir de votre association ?

L’association a commencé en 2007. Le programme en Ethiopie est fini puisque toutes les jeunes filles sont à l’université aujourd’hui. Au Bénin, beaucoup de filles ont aussi passé le bac cette année. Je travaille sur un nouveau programme, en collaboration avec l’organisation « Population Council » basée aux Etats Unis. Ils ont développé une technologie extraordinaire : la levée de données sans avoir accès à un réseau. Nous commençons une expérience dans deux communautés où Batonga intervient, grâce à des fonds fournis par Master card. L’idée est de comprendre les raisons exactes qui ont poussé les jeunes filles à arrêter leur scolarité : Sont-elles enceintes ? Ont-elles des enfants ? Peuvent-elles subvenir à leurs besoins ? Nous allons solliciter toute la communauté pour encourager ces jeunes filles à poursuivre leurs études. Le programme de « Population Council » s’adapte instantanément aux besoins de ces jeunes filles. Au mois de novembre dernier, nous nous sommes rendus compte avec cette levée de données que le moment où les jeunes filles arrêtaient l’école coïncidait avec l’arrivée de leurs menstruations. On a mis en place un accès à l’eau potable et des programmes de sensibilisation et d’accompagnement. 

 

Quelle est la dernière expérience marquante que vous ayez vécue avec ces jeunes filles ?

Lorsque j’allais les premières fois dans ces villages reculés, les filles ne parlaient pas, c’était leurs parents qui parlaient. Cela me frustrait énormément de ne pas échanger avec elles. Aujourd’hui, je ne peux plus les arrêter. Elle rit.

Il y a aussi une rencontre avec deux pères qui m’ont frappée. Je vais parfois dans les écoles pour suivre l’évolution des filles. C’était la première fois que je voyais des pères venir à l’école de leurs filles, j’étais surprise. L’un pour me dire qu’il souhaitait construire un dortoir car l’école était loin du domicile. Je lui ai dit que je ne pouvais rien faire, qu’il fallait voir avec la commune. Le second pour me remercier d’avoir rendu sa fille heureuse. Depuis la mort de sa mère, elle ne parlait plus. Aujourd’hui, elle est toute joyeuse et contente de faire ses devoirs.

 

L’Afrique est un thème récurrent dans votre musique et vos discours. Quels sont les défis à venir de l’Afrique ?

Le défi à relever c’est la création d’emplois pour les jeunes. La population de l’Afrique va exploser dans les années à venir, est-ce que nous sommes bien armés pour offrir des infrastructures et des emplois à la jeunesse ? Je ne vois pas de changements sur l’establishment d’aujourd’hui. J’ai plus d’espoirs dans le futur : c’est ceux qui font partie de la génération d’aujourd’hui qui travaille,  qui voyage et voit la complexité du monde, qui vont changer l’Afrique. L’Afrique est un des continents les plus riches au monde et c’est aussi l’endroit où il y a le plus de pauvreté.  Je n’ai jamais compris cette injustice.  Il y a un grand flou autour de tout en Afrique et un moment donné il va falloir éclaircir tout ça pour évoluer, que chacun prenne ses responsabilités. Qu’on ne blâme pas seulement les chefs d’Etats qui sont corrompus, la corruption existe partout et ça n’empêche pas les pays riches de se développer, pourquoi elle empêcherait l’Afrique de se développer ?  J’aimerais que tous les pays africains deviennent des démocraties et que la transition se fasse sans bain de sang. L’éducation est la clé de l’Afrique pour sortir de la pauvreté et les femmes africaines sont la colonne vertébrale de ce continent.

Il faut leur donner plus de place pour avoir une société plus juste et plus équitable.

 

Egérie de la marque Vlisco, vous faites partie de la campagne de communication pour les 170 ans de la marque. Lors de la cérémonie des Grammy Award, vous portiez d’ailleurs une robe Vlisco. Que représente pour vous le « véritable wax hollandais » ?

Ma grand-mère paternelle quand elle est devenue veuve s’est mise à vendre du pagne vlisco sur les marchés. Les dix enfants de mes parents sont nés dedans. Le pagne Vlisco représente donc la détermination de ma grand-mère à décider de sa vie existante et future. Et puis cette marque met en avant la beauté de la femme africaine, c’est à contre courant de l’image véhiculée par les médias. Apparemment, l’Afrique est le continent où tout le monde veut déverser la négativité. Alors que c’est faux, il faut voir l’élégance et la beauté de ces femmes.

Il faut savoir que les femmes en Afrique s’approprient les tissus Vlisco en leur attribuant des noms, comme « La souris ne peut jamais battre le chat » : qui veut dire « c’est moi qui suis ici, si tu me cherches tu viens me chercher chez moi et tu vas me trouver ».

 

Votre énergie et dynamisme sur scène sont communicatifs. Y a t-il un chef d’état qui vous a surpris en dansant sur votre musique ?

Il y a beaucoup de chefs d’Etat qui dansent bien, ce n’est pas parce que l’on est président d’un pays, qu’on n’est plus un être humain. J’ai déjà dansé avec Barack Obama et il danse très bien. Elle sourit. Si on ne vit pas la musique, on n’est pas vivant.  Comme dit ma mère : « Si votre cœur bat, vous avez un rythme ».

 

Vous avez fait vos premiers pas en tant que comédienne dans le film nollywoodien « The CEO » réalisé par le nigérian Kunle Afolayan.

On va bientôt vous découvrir en tant que membre du jury de « l’Afrique a un incroyable talent ». Vous présentez également une nouvelle émission « 21ème », diffusée sur TV5 Monde et produite par l’ONU.                

C’est important pour vous de développer plusieurs activités en parallèle de la musique ?

La musique m’a amenée vers ces différents médias. Ce que je dis dans ma musique, je peux le dire en parlant. Présenter l’émission « 21ème siècle » me plaît énormément car j’apprends beaucoup de choses. Lors de la première émission, j’ai appris l’importance du comité des droits de l’Homme au sein des Nations Unis. C’est grâce à M. Theo Van Boven, en charge de ce comité, que Pinochet s’est retrouvé devant la cour des droits de l’Homme. Il a permis à des milliers de mères de s’exprimer sur leurs douleurs après la mort de leurs fils, le comité des droits de l’Homme oblige les gouvernements coupables à donner des explications sur les massacres qu’ils ont fait subir à leurs peuples. 

 

Pourquoi avez-vous souhaité être membre du jury de l’émission « l’Afrique a un incroyable talent » ?

Ce que j’ai dit lors mon discours aux Grammy Awards sur l’Afrique c’est le reflet de ce que je vois tous les jours.

Je fais donc cette émission pour montrer qu’il y a des talents incroyables. C’est nous, les africains, qui devons être en charge de notre avenir et du contenu que nous souhaitons dire au reste du monde. Et si on m’offre l’opportunité de raconter cette histoire, j’accepte volontiers d’en faire partie.

 

Quel est votre meilleur souvenir sur scène ?

J’en ai tous les jours. La scène c’est mon paradis sur terre. Je ne prends jamais le public pour acquis, car on ne sait jamais comment ça va se passer. La musique a un pouvoir fabuleux, celui de réunir les gens. J’aime cette communion avec le public. Quand j’ai commencé la musique, je voulais toucher chaque personne sur cette terre, c’était un rêve. Arriver à toucher autant de gens, c’est une responsabilité en tant qu’artiste et ça nous oblige à rester humble. Je dis toujours que les artistes qui prônent la haine et la violence c’est comme un cercle : ils l’ont commencé mais ça reviendra vers eux.

 

Que dirait de vous, la petite Angélique Kidjo ?

Elle dirait ce que ma grand-mère avait l’habitude de me dire: « Travaille encore, tu te reposeras quand tu seras six pieds sous terre ».

 

Vous avez partagé la scène avec plusieurs artistes internationaux. Avec quel(s) artiste(s) aimeriez-vous faire un duo ?

Il y en a pleins. Ce qui m’intéresse c’est de travailler ensemble au service de la musique, quand il y a trop d’ego, moi, je m’en vais. J’aimerais collaborer avec Aretha Franklin, Youssou Ndour, Fally Ipupa et pourquoi pas Céline Dion.

 

 

Angélique Kidjo,  « La femme africaine est la colonne vertébrale de l’Afrique. »
Angélique Kidjo,  « La femme africaine est la colonne vertébrale de l’Afrique. »
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S
je viens de la découvrir grâce à vous
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A
intéressant ! merci pour le partage
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